[Quête Accomplie] Les êtres précieux des neiges

La mission venait d’être donnée. Vaessios l’accepta en se relevant. Un Saphir des Neiges, n’est-ce pas ? D’une certaine façon, l’archère sentait que tout ceci ne serait pas simple. Elle n’en n’avait jamais entendu parler, mais apparemment, c’était une créature mignonne. La description qu’on en avait faite lui faisait vaguement repenser à ce qu’elle avait pu voir par le passé. Une créature à grandes oreilles et museau pointu… Oui. Il y avait toutefois beaucoup de détails différents pour dire que les deux se ressemblaient réellement. Ce qu’elle avait croisé était les descendants terrestres de la divinité du Savoir. Grandes oreilles et nez pointues, huit petits points noirs qui lui servaient d’yeux et cinq queues. Les plus grands pouvaient mesurer près d’un mètre de haut. Ils étaient fins et gracieux, rarement farouche, et le pelage complètement roux comme les forêts d’Ethraz. Elle poussa un soupir. Ses terres natales lui manquaient, mais elle ne pouvait rien y faire pour le moment. Elle espérait réellement pouvoir retourner chez elle.

Elle sortit du bâtiment et inspira grandement. L’air n’était pas gelé en ville, et cela faisait du bien de ne plus être totalement emprisonnée du froid. La population présente lui était agréable, bien que sa peur de la foule soit toujours présente. D’ailleurs, elle devait se battre contre ça maintenant. Elle avait besoin de plus d’information sur ces Saphir des Neiges. Une description physique ne suffisait pas. D’un pas sûr au début, elle se mit à la recherche d’une personne qui pourrait l’aider. Un chasseur, un spécialiste, un bibliothécaire, peut-être. Sa démarche commençait légèrement à vaciller alors qu’elle entrait dans ce qui paraissait être le centre-ville. Tout ces gens… Parmi tout ces gens, il devait bien en avoir un ou deux qui essaieraient de l’attaquer. Elle ou d’autres personne. Ça se passait toujours comme ça lorsqu’elle allait en ville. Ses poings se serrèrent discrètement, même si certaines articulations craquèrent sous ce mouvement. Allez, respire, Vaessios, respire. Tout allait bien se passer, il faut juste que tu trouve une échoppe qui correspond à ce que tu pense. Il doit forcément il y avoir des chasseurs… Elle évitait la grande bibliothèque, elle voulait prendre le moins de temps possible pour cela.

Son cœur battait violemment dans sa poitrine alors qu’elle entrait dans une des auberges du coin, son visage ne laissant apparaître aucuns sentiments. Elle avait levé un bouclier mental, presque physique. Allez, c’est bon, tu es sortie de la foule, tu vas pouvoir demander de l’aide. Forcément, une presque géante à la peau noire et chevelure rousse ne passe pas du tout inaperçu dans une auberge. Si toutes les conversations ne s’arrêtèrent pas, tout le monde se retourna quand même pour lui jeter un coup d’œil. Elle les ignora et se dirigea vers le comptoir. Elle n’avait pas d’argent sur elle et regarda autour d’elle. S’il n’y avait pas un chasseur ici, elle en serait grandement étonnée. Heureusement pour elle, elle savait en reconnaître un quand elle le croisait. Son regard finit par tomber sur une chasseuse, ou du moins une exploratrice, au vu de ses vêtements et bouquin qui l’entouraient. L’archère prit une grande inspiration et s’approcha de celle qui sera sûrement sa compagne pour cette mission.

« Excusez-moi… Pourrais-je vous demander un peu d’aide ? »

Après un regard et une réponse, Vaessios s’assit en face de l’exploratrice. Sans mentionner que c’était une mission donnée par la Reine, elle expliqua son problème par rapport aux Saphirs. Son interlocutrice hochait la tête, attentive. Heureusement pour l’archère, elle semblait connaître ces animaux, du moins, assez bien pour savoir dans quelle zone il était plus facile de les voir, et leur capacité. Oui… leur sensibilité aux bruits seraient compliquée, surtout pour en attraper un. Ils ne se laisseraient clairement pas faire non plus. Elle eut un soupire léger en pensant à ce qui l’attendait, sans être démoralisée pour autant. L’exploratrice avait évité de posé la question : « Pour qui le Saphir est destiné ? » Elle aurait sûrement pensé à un mensonge si Vaessios avait parlé de Lica. Après un remerciement, elle se releva, hésita une seconde, et regarda à nouveau la jeune femme.

« …Accepteriez-vous de m’accompagner pour cette quête ? »

« J’vous l’répète, hein : C’bien parce qu’vous êtes une femme seule sans armes ni armures que j’vous accompagne, hein. »

Vaessios sourit légèrement en levant les yeux vers le ciel. Elle serra contre elle ses propres vêtements alors que les aventurières partaient le lendemain matin de leur rencontre, au soleil levant, et le ciel assez clair. Elles avaient été chanceuses, le début du voyage ne serait pas trop difficile. Sortant de la ville, elles se regardèrent une seconde avant de se diriger vers la Cascade des Neiges. Cela promettait d’être mouvementé. Apparemment, l’endroit était souvent prit par des brigands en tout genre, prenant en embuscade les voyageurs, perdu ou non. Quels salopards… Ils s’attaquaient à plus faibles et moins nombreux qu’eux, alors qu’eux-mêmes seraient totalement perdus sans leurs coéquipiers. Même un loup seul pouvait être dangereux, et ce n’était qu’un animal. Comparer les hommes aux loups lui paraissait d’ailleurs exagéré, les trois quarts du temps. En meute, oui. Mais seul, non.

Comme prévu, la première partie du voyage se déroula sans trop de problèmes, le soleil étant à moitié présent, le vent des hauteurs soufflant toujours sur les nuages. L’archère les regarda. Les nuages… Y avait-il réellement tout un pays, que dis-je, un continent entier là-haut ? Cette possibilité lui semblait vertigineuse et dangereuse. Comme toujours, elle avait cette arrière-pensée : Et si la magie n’opérait plus ? Et si ce royaume s’écroulait ? La catastrophe serait des plus dramatiques et des plus dangereuses. Il y avait des chances que ce monde disparaisse à moitié si cela devait arriver. Elle frissonna, plus de crainte que de froid, car le vent recommençait à redescendre vers les plaines. La neige recommençait à tomber, lentement, légèrement. Elle s’arrêta et tendit la main pour en attraper, comme un pétale de fleur qui tomberait et qu’on voudrait récupérer. Un pincement au cœur et une petite nausée. Le passé qui remontait douloureusement, encore trop vif, encore trop présent, encore trop récent. Elle resserra son poing, le ramenant lentement contre sa poitrine et soufflant le plus longuement possible. Une main se posa sur son épaule. Elle regarda sa compagne qui avait un petit sourire encourageant. Allez, faut y retourner.

Plus elles approchaient de la Cascade, plus le temps se dégradait. C’était presque la tempête de neige maintenant, leurs pas s’étaient faits plus difficile. Elles étaient accrochées l’une à l’autre, avançant du mieux qu’elles pouvaient tout en se réchauffant du corps de l’autre. Leurs vues étaient désormais très limitées, et leurs gorges commençaient lentement à s’assécher. Un abri. Il fallait trouver un abri, même si ce n’était qu’un trou dans la montagne. Elles se perdraient trop facilement si elles ne faisaient pas attention, et dans ce blizzard, c’était toujours plus compliqué de se retrouver. Le temps semblait s’allonger de plus en plus, ne leur laissant pas de répit, qu’il soit physique ou mental. Était-ce la nuit, le jour ? Le matin, la soirée ? La lumière n’arrivait pas à percer les nuages formant une véritable muraille dans le ciel, crachant leurs flocons qui s’infiltraient vicieusement dans les vêtements, les yeux et les cheveux. Après ce qui leur sembla une éternité, elles tombèrent, presque littéralement, sur une cavité, ou une petite grotte, assez profonde et large pour les tenir les deux éloignées de la neige. Elles s’y précipitèrent après avoir dégagé l’entrée. Vaessios eut un instant l’idée de la reboucher, mais ne le fit pas. Ses mains étaient congelées, et elle commençait à vraiment être fatiguée. Elles se tassèrent au fond de la grotte, collées l’une à l’autre et fixant l’entrée. La neige reprenait lentement ses droits, rappelant aux deux femmes qu’il y avait des risques de morts si elles s’endormaient. Leurs mains, leurs jambes, leurs bras, tout étaient entrelacés, les muscles frissonnant violemment pour se réchauffer. Elles auraient pu grignoter, mais, étonnement, leur faim semblait coupée. L’archère soupira, essayant de rester éveillé, sa conscience tombant légèrement dans le sommeil, dans une douce et prometteuse noirceur.

Le silence. Le silence presque complet. Seul des respirations faibles étaient audibles dans cette grotte. Le froid… et la chaleur. La chaleur d’un corps proche de soi, la chaleur créée dans une petite sphère d’intimité. La chaleur… et le froid. Le froid de la pierre contre laquelle on s’appuie, le froid de la neige extérieur à la sphère. La lumière, enfin, qui perçait. La lumière d’un jour sans soleil et sans tempête. Lumière prometteuse de voyage tranquille. L’archère ouvrit lentement les yeux, sa conscience revenant lentement de la douce noirceur dans laquelle il était tombé. La grotte. La neige. La tempête. Le voyage. La quête.
Elle s’étira longuement, réveillant sa compagne de route par le même temps. Le froid ne les avait finalement pas tuées, refermant à moitié l’entrée de la grotte et faisant un léger effet isolant. L’exploratrice se réveilla dans un sursaut, un instinct de survie quelques fois ridicule. Elle s’étira aussi pour réveiller ces muscles endoloris. La première se dirigeait vers l’entrée pour la dégager de la neige qui les avait protégées pendant un temps inconnu. Elles ignoraient combien de temps elles avaient dormis. Une heure ? Une nuit ? Quoiqu’il en soit, la tempête était passée, et c’était tout ce qui comptait réellement. Elles pouvaient reprendre leur route pour trouver les Saphirs.

Après un rapide et frugale repas, elles reprirent leur route vers les montagnes, et plus précisément vers la Cascade des Neiges. Cette partie-là du voyage fut plus simple et plus rapide, assez étrangement. Pas de gros blizzard en vue. Oui, la neige tombait toujours, mais pas aussi violemment que précédemment. Peut-être que la ville subissait l’assaut de la nature ? Non, un bouclier la protège, fut-elle assurée. Un bouclier magique, hein ? Elle ne l’avait pas remarqué en arrivant, et cela lui expliquait pourquoi l’air était aussi bon. Sa compagne se moquait légèrement d’elle, mais qu’y pouvait-elle ? Elle était nouvelle dans un monde nouveau lui aussi. Si nouveau qu’il n’y avait pas encore la moindre festivité. Peut-être par-ci par-là, mais elle n’en était pas au courant. D’ailleurs, est-ce qu’il y avait autre chose que ce monde de neige ? Oui, d’autres royaumes entouraient celui de Bianchi, mais ils étaient loin, et il n’y avait pas le moindre contact. La faute à la Reine ? Peut-être, peut-être pas, personne ne pouvait réellement être sûr de cela. Sa philosophie était méconnue de la populace, bien que l’idée de savoir fût admirée. Après tout, n’était-elle pas qu’une enfant curieuse ? Une enfant presque comme les autres ? Comme n’importe laquelle, on devait l’éduquer, lui montrer le chemin.
Un chemin. Un chemin dans la neige et la roche. Un chemin dessiné par des milliers de pas. Un chemin créé par l’usure. C’était étrange, inattendu. Était-ce par cette route-là que les brigands attaquaient leurs victimes ? Les jeunes femmes se regardaient, interrogées, incrédules. Elles décidèrent de le contourner, sans toutefois le perdre de vue. Elles devaient faire attention, on pourrait les attaquer de n’importe où. A force de le suivre en détournée, elles arrivèrent à l’entrée d’un tunnel. Des courants d’airs froids et chauds se disputaient le contrôle de cet endroit. C’était le passage entre Bianchi et le royaume d’à côté. Le seul passage, en réalité. Ceci expliquait cela. Il y avait aussi 95% de chance qu’elles croisent des brigands. Il fallait se préparer à une telle éventualité.

Vaessios n’avait pas la moindre arme sur elle.

Mais la nature en avait pour elle.

Elle ramassa quelques cailloux, ceux qui semblaient les plus dangereux, et les enroula dans des petites boules de neige. Elle déchira un morceau de son haut et le mit en bandoulière, y glissant ses munitions de neige compacte et de cailloux. Tout ceci avait l’air enfantin, mais elle n’en avait cure. Tant qu’elle pouvait faire un combat depuis la distance, cela lui allait. Elles se décidèrent finalement à entrer dans le passage. Même si leur but premier était de trouver un de ces animaux d’abord, elles connaissaient les risques liés aux brigands. Elles avançaient tranquillement, presque lentement, sur leur garde. Un bruit. Un glissement, quelque chose à côté d’elle, ou en face, elles ne savaient pas trop. Elles se retournèrent toutes les deux pour regarder la source du bruit.

C’était un Saphir des Neiges. Il tremblait, il semblait effrayé. L’exploratrice cligna des yeux, étonnée. Elle ne comprenait pas qu’une bestiole avait pu les suivre, ou alors simplement suivre le même chemin qu’elles. N’étaient-ils pas censé être farouches et fuir ? Surtout avec les humains aux alentours ? Elle était plantée là, à se gratter la tête, surprise. Elle ne comprenait pas ce qu’il faisait là. Vaessios, elle, se doutait de ce qu’il pouvait s’être passé. L’animal avait été poursuivi par d’autres personnes, sûrement des braconniers, et s’était retrouvé coincé. Il n’avait alors pas eu le choix que de suivre ce chemin-ci, tentant pour le mieux de rester discret. Mais c’était difficile de l’être quand on avait une patte blessée. La patte arrière gauche semblait légèrement rentré, recroquevillé, bien qu’aucun sang ne soit visible. Une fracture, sûrement. Maintenant, l’animal se tassait contre le mur, persuadé d’être encore tombé sur les mauvaises personnes.
Les deux jeunes femmes se regardèrent. Elles n’aimaient pas voir ce Saphir dans cet était, malheureusement, c’était le seul moyen d’en attraper un. L’archère s’agenouilla en s’approchant de l’animal, qui tremblait et grognait contre elle. L’exploratrice derrière elle, prête à bondir pour l’attraper si il fuyait, Vaessios tendit ses deux mains vers l’animal, paumes vers le ciel. Bien qu’inoffensifs, l’animal tentait tout de même de la mordre, il n’allait pas se laissait faire comme ça, voyons ! Pourtant, Vaessios réussit à poser une de ses mains entre les oreilles de la bestiole, qui fut surpris de geste, avant de vivement l’attraper et le plaquer contre elle. Il se débattit en grognant, geignant, mais elle le tenait fortement, sans pour autant lui faire de mal. Les deux jeunes femmes se jetèrent un coup d’œil à nouveau et partirent sans plus attendre pour retourner en ville. Il y avait encore plus de chance qu’elles croisent les brigands qui voulait l’animal. Sa compagne de voyage en face d’elle, elles se dépêchèrent de sortir du passage. Alors qu’elles arrivaient près de la sortie, elles entendirent des éclats de voix. Les braconniers, sûrement. Ni une ni deux, elles accélérèrent le pas, voir se mirent à courir. C’était délicat, le sol étant un peu gelé, elles pouvaient glisser à n’importe quel moment.
L’animal couinait de peur, immobile contre la peau noire de l’archère. Il devait reconnaître qu’elles n’avaient pas la même odeur que les autres, mais tout de même ! On l’éloignait de chez lui pour une enfant reine ! Il n’était pas d’accord du tout du tout ! Toutefois, il ne tentait pas de la mordre. Ca ne servait à rien, il avait déjà tenté. Il enfouit son museau contre le tissu du vêtement en gémissant. Il n’aimait pas du tout du tout ça. Ces jeunes femmes qui s’étaient mises à courir pour on ne sait quelle raison le rendait malade. Il était secoué dans tout les sens, ça l’effrayait plus qu’autre chose, en réalité. Il finit par respirer quand elles s’arrêtèrent, à bout de souffle. Il releva le nez pour les regarder en grognant. Malgré tout, la femme qui la tenait... bin elle le tenait bien, vraiment bien. Elles s’échangèrent quelques mots, et la femme la plus pâle fouilla dans ses affaires, et sortit un morceau de racine. Evidemment, ceci l’intéressa. Il restait méfiant, parce qu’il était encore dans les bras de cette personne. Il mangea quand même ce qu’on lui donnait, il avait faim après tout. Après quelques minutes, elles reprirent leur marche, lentement, et il finit par s’endormir.

L’air changea soudain autour de l’animal. Il était plus... chaud. Plus doux. Cela le réveilla. Enfin, les bruits alentours l’avait alarmés aussi, mais ce soudain changement d’air... Il ne comprenait pas. Elles venaient d’arriver en ville.

« Bon, où est-ce qu’on doit emmener ce p’tit bonhomme, Vae’ ? »